Les maux de so! (tome 1)
La recherche d’un co-locataire n’est pas une mince affaire. Cela faisait des mois que je remuais ciel et terre, que je scrutais l’horizon à travers mon double vitrage en plexiglas, en quête du compagnon d’appartement idéal. Je nous voyais déjà, un duo complice bondissant au ralenti sur une bande sonore estampillée « eighties », partageant tout, les factures d’éléctricité comme les pantoufles. Mes illusions s’étaient vite envolées… Une fée avec une dent (voire la mâchoire entière) contre moi avait lancé la poisse à ma poursuite. A bout, je me retrouvais à pleurnicher dans ma choucroute du soir, qui, soit dit en passant, semblait avoir macéré depuis 1987 dans une baignoire remplie de crapauds…
J’en venais à regretter l’une des premières candidates que j’avais reçu. Nous avions bien accroché au téléphone. Il faut dire que nous portions des pulls à grosses mailles. Je la reçus autour d’un café, boisson qu’elle lorgna pendant dix bonnes minutes avant de sortir une courge de son sac en toile et d’y planter une paille. La jeune femme semblait très attachée à son régime et plus précisément, à son caractère macrobiotique. Après trois-quarts d’heure de sermon alimentaire sur les vertus des alpha et des béta sur le méta-organisme et des pommes cueillies à l’arbalète, sentant que la température de mon front atteignait des pics sans précédant et n’en pouvant plus du bourdonnement que provoquait son insupportable timbre de voix au sein de mes délicates feuilles de choux…c’était surtout des ANTIbiotiques qu’il me fallait. Les mains en position de repli sur mes oreilles, je la raccompagnais jusqu’à la porte, que je claquais derrière elle alors qu’elle se mettait à louer son superbe parallélisme…je me félicitais surtout de son efficacité en matière d’isolation en tournant le verrou à double tour.
En vidant les restes de mon repas mutant dans un tuperware en forme de coeur, je me remémorais cet autre « cas ». Le rendez-vous avait été fixé d’un commun accord pour 16h. A 16h30, il ne s’était toujours pas présenté. Il n’avait laissé aucun moyen de le joindre. Vers 18h, je décidais qu’il avait dû trouver autre chose, ou tout simplement oublier notre entretien. A 19h, je savourais mon gratin de pâtes réchauffé à l’athanor barbiesque qui me sert provisoirement de réchaud en attendant mon entrée dans le 21ème siècle avec l’achat d’un micro-onde. Autour de 21h, après m’être insurgé contre le contenu de mon programme télé, je plongeais (façon de parler) dans un bon bain bouillonnant. Je jouais avec l’ornithorynque en mousse qui me vient de mon arrière-grand père du côté maternel (celui qui réparait des carlingues sur les navires fantomes des parcs d’attraction à travers le Mid West) lorsque par-delà les exhortations de Kurt pour que je « come as you are » depuis le poste de radio, il me semblait entendre un sifflement familier. Quelques ploufs ploufs avec mon joujou plus tard et je reconnu enfin la sonnerie de mon entrée merveilleusement géométrique.
Bondissant de mon refuge aquatique émaillé…frôlant l’espace d’un instant un avenir paraplégique, j’enfilais un pyjama décent et me dirigeais d’un pas intrigué vers la porte. Le judas ne me fournissant aucun élément de réponse probant quant à l’inconnu se trouvant outre, je me vis contraint d’ouvrir, me munissant toutefois d’une boîte de traitement antiglycémique colossale que m’avait légué une collaboratrice ayant succombé des suites d’une pédicure rose fauve. Mes instincts paranoïaques reprirent le dessus, mais c’est d’un simple « entschuldigung » que se présenta notre homme. « Certes », trouvais-je le courage de sussurer en reposant la massue médicamenteuse, après avoir jugé la grande asperge répugnante oui, mais guère à l’allure psychotique. Si j’avais eu l’audace de lui gratter le ventre, on l’aura sûrement vu friser de la moustache et pousser un ‘miaou’ béat. Le girafon me tendit ses références (il s’avéra, après d’intenses séances de décryptage de sa plume patte de mouchesque, qu’il se contentait d’humbles autoréférences). Après remise du précieux document, son oreille se mit à frétiller (littéralement) et il prit la fuite tel un végétalien à la vue d’un jaune d’oeuf…
J’entendais au loin la gardienne en bas de la cage d’escalier, au niveau du salsepareillement des boîtes aux lettres, prononcer un « oukekentinérelou » billeux, insulte de son cru qu’elle réservait aux individus qui se prenaient régulièrement pour des nyctalopes et qui renversaient les poubelles soigneusement disposées au pied des marches, obstacle indiscernable sans l’assistance de la minuterie.
Les bras plongés jusqu’aux coudes dans de l’eau savonneuse, râclant les casseroles de mon voisin de palier (en échange de l’usage exclusif de sa trotinette trois fois par semaine), je me remuais les méninges pour tenter de sortir de ce gouffre: l’ambiance dans l’appart’ se faisait oppressante. On en était arrivé au point où même les plantes vertes ne m’adressaient plus la parole. Tout recours semblait désormais envisageable: kidnapping, corruption…TOUT, y compris une petite annonce sur myspace…
© Soraya Nigita