ARTICLESLive ReportMusic

Live Report : Rock En Seine 2010

Rock En Seine 2010

Oyez, oyez festivaliers, les grands succès de la musique rock et populaire prennent leurs quartiers de fin d’été pendant trois jours, au domaine de Saint-Cloud.

Jour 1 – 27 août

À 14 heures, il fait encore beau. Les corps dévalent les marches et surgissent de toutes parts – du métro, du tram, du parking – avec trépidation, piétinant un parterre déjà recouvert d’une mosaïque de prospectus. La Seine est étincelante, les lunettes et la crème solaire sont deux éléments indispensables dans le barda du festivalier. Une petite heure plus tard, alors que résonnent les toutes premières notes de musique, le ciel passe de couvert à orageux. Le plan du site ne le montre peut-être pas, mais on trouve un abri sous les nombreux arbres qui bordent les allées du festival et auprès des stands qui assurent l’animation.

Bienvenus au domaine de Saint-Cloud qui accueille pour la huitième année le festival Rock en Seine. Trois jours dédies à la musique, à la marche, et, pour les plus courageux, aux stands restauration. Côté musique, entre les découvertes, les confirmés, les séparés, les reformés, le festivalier dispose d’une palette d’environ quarante groupes pour customiser son éventail – ou, vu le temps, son parapluie – musical. Muni de la boussole que sont les horaires de passage, le périple commence. Ils sont nombreux, telles des fourmis sous une feuille salvatrice, à trouver refuge sous les affiches placardées le long des allées lorsqu’éclate la première grosse averse qui arrose ceux qui ont pour mission d’ouvrir le bal. À cette allure, les affiches ne tiendront pas les trois jours. Comble de l’ironie, le stand bière est sous la flotte.

Premier tour du propriétaire : impossible de rester statique, tout est trempé et les bonnes affiches sont prises. Le site pullule de jeunesse arborant son Blink 182 pride, avec des t-shirts néons en guise de déclarations antimorosité. On commence à chronométrer le temps à mettre pour parcourir les distances entre les scènes : on commence à angoisser. Heureusement, Band of Horses prend la situation en main vers 16 h à la Scène de la Cascade. Naviguant entre les pentes, les cailloux et les câbles, on ne les voit pas, sur cette scène qu’obscurcit une lignée d’arbres, mais on les entend. Entre douceur et tension, Funeral, un ultime souffle d’un set qui a tapissé de velours un domaine légèrement agressé par les éléments.

Le programme indique Kele, la voix et le guitariste du groupe anglais Bloc Party, qui entame un effort solo dans un projet plus électro, sur la Grande Scène. Sur la Scène découverte de l’Industrie se produisent les jeunes Parisiens de King of Conspiracy. Il va falloir choisir son équipe. Une foule s’empresse, ça commence à pogoter timidement, face au phrasé de sale gosse, au spleen venimeux du roi du complot. Une petite séance d’électrochocs administrée par les Parisiens. À la fois énervante et touchante.

Foals. 17h40. Scène de la Cascade. Comme un murmure. Ça accourt dans les allées, des mouettes de Panurge ne voulant en louper une miette. À trois notes, le public déjà conquis rugit d’anticipation. Les compositions vibrent, trouvant un parfait écho dans le temps, toujours trouble, qui plane. Le ciel se couvre, le vent souffle alors que Yannis invoque une incantation de dépaysement… Spanish Sahara.

Un envoûtement d’un tout autre genre se prépare sur la Grande Scène : Skunk Anansie. La voix de Skin prend aux tripes comme ses mains prennent le pied de micro, l’entortillent, le brandissent et le jettent. Elle défie la foule avec son charisme acrobatique. La scène semble trop petite pour la formation en permanente ébullition et on s’attend à tout instant à ce que le plateau décolle sous un feu d’artifice.

Pendant ce temps, de l’autre côté, Beast a aménagé son repaire à la Scène de l’Industrie, avec le blues teinté d’ironie de Betty, au spoken word incisif. « Sometimes, it can be dark like an ashtray. Parfois ça peut-être sombre comme dans un cendrier », traduit-elle. « Ah oui, c’est beaucoup moins poétique en français ». Pas de risque que les beats de Jean-Phi restent lost in translation. Même en régie, ils dansent sur Mr. Hurricane.

Diamétralement opposé à ce qui joue de parts et d’autres, isolé par une simple pellicule en toile, lové au fond du stand Ile-de-France, le quatuor parisien Baden Baden brode des anthems mélancoliques et cérébraux, s’appuyant sur des harmonies à fleurs de peau, qui la transpercent un peu, subtilement. En ligne de mire, le cœur, peut-être. Également préoccupés, mais nettement plus enjoués, les Kooks s’insurgent sur l’iniquité de leurs relations amoureuses à la Cascade : « You don’t love me the way that I love you ». C’est le pas léger et une brindille de nostalgie insouciante dans les cheveux qu’on se dirige vers la Grande Scène.

Cypress Hill, 20 heures. « Get’em up now ». C’est l’heure du hold-up collectif. On sent que la foule avait bien besoin de cet acte exutoire lorsqu’elle accueille le groupe de hip-hop Californien entre hourras et huées. En véritables catcheurs musicaux, ils exécutent un son rond, gros, massif : inutile d’esquiver.

À l’Industrie, French Cowboy, quatre rockeurs à pilosité variable et quatre belles choristes, pioche dans son stetson du Pink Floyd, fait sonner tour à tour guitares, éperons et « baba folklore », mais le résultat est décevant pour les anciens membres du groupe The Little Rabbits.

Une lumière citronnée, cagoule, tête baissée, gros coups de grosse caisse : le chanteur de Black Rebel Motorcycle Club émerge, comme la faucheuse, et lâche, sombre, « Let your demons run ». Le ciel, déjà gris, s’étouffe de fumée — une brume surréaliste qui enveloppe les arbres. Un drapeau de pirate flotte au-dessus de la scène. On vogue sur un vaisseau maudit.

Un peu plus tard, Blink 182 fait tomber le rideau de la Grande Scène. On est au bal de promo, le groupe crâneur lâche des blagues vaseuses sur le Louvre et vante le talent de son batteur, Travis, dont la décoration épidermique mériterait une place de choix aux côtés de la Joconde.

Jour 2 – 28 août

Effrayés par la découverte de ce nouveau don d’ubiquité, notre serment est fait de s’en tenir à l’essentiel.

Sauf qu’un festival, c’est un buffet, et on a envie de goûter ses mets préférés, mais aussi ceux qu’on ne connait pas, mais dont on a entendu du bien, ceux dont on a entendu du mal, ainsi que les plats, dont l’aspect mystérieux rend alléchant. En plus, il fait presque beau : les pieds vont encore être mis à rude épreuve et les semelles connaître une fin prématurée.

Une foule attend sous une couette de parapluies le passage d’une ondée éclair avant la prestation de K’naan sur la Grande Scène, mais au loin résonne une voix puissante et des beats imparables, de quoi réveiller le plus éprouvé des festivaliers. Les Anglais de Chew Lips renouvellent un genre et s’investissent avec brio en début d’après-midi. Vêtue d’un micro short à paillettes et d’un chemisier blanc, la chanteuse Tigs électrifie la Cascade avec une électro pop emplie d’âme. Portés par cette agréable surprise, les pas s’enfoncent dans le parterre caillouteux, revigorés par l’anticipation des autres cadeaux de la journée.

Retour à la Grande Scène, ou officie K’naan qui liste ses influences et collaborations, certes intéressantes sur papier, mais assommantes de redondances et de mièvrerie à l’écoute.

Ça, c’était juste pour rigoler” ricane la chanteuse de Viva and the Diva à l’Industrie après avoir martelé le composite Beatlesien : “Nothing’s going to change my world, across the universe”. Elle est de la trempe de ces performeuses en colère, cynique, punk, mais dont la fragilité passagère rend hypnotique. On se prend à rester. « Tu assures» lui lance un spectateur.

À la Cascade, on effectue les dernières balances avant le set de Plan B, à coup de cuivres, violons, contrebasse, passant de Morricone à Reel to Reel. En fait, seul en scène, un homme combine les sons, composant une mix tape frénétique avec sa bouche qui chauffe la foule à blanc. Lorsque Ben Drew, aka Plan B, déboule enfin sur son trente-et-un pour livrer son alliage de rap et de R&B, la foule retient son souffle, choqué par sa méprise. Le beat box humain c’était Faith SFX.

17 heures à la Grande Scène : les Stereophonics entrent en matière violemment, comme pour contrecarrer leur allure de gravures de mode. À travers le fatras de guitares électriques, on distingue quand même une mélodie ; on la distinguera peut-être encore mieux de loin.

Les quatre Niçois de Quadricolor sont « super heureux d’être là », et ça se voit. Les enceintes vrombissent allègrement, crachant un son jeune et jubilatoire. Le larsen persistant empiète un peu sur des compositions percutantes et ciselées, avec des arrangements vocaux très rock Grégorien.

Allez quoi, vous n’êtes pas des stars ! », s’insurge une fille, agacée par l’attente pour le groupe venu d’Irlande du Nord avec bon nombre de groupies dans les valises. Les morceaux de Two Door Cinema Club sont bondissants, comme leur public, qui chante les paroles en ratissant le chemin vers les premiers rangs.

Plus difficile, en revanche, de jouer au karaoké avec Paolo Nutini à la Grande Scène. La pierre de Rosette permettant de décrypter l’énigme de son dialecte n’émergera pas ce soir. Autre mystère, le drôle d’oiseau qu’est Martina Topley Bird à l’Industrie, qui livre une gracieuse performance en quasi -solo, à l’exception d’un assistant ninja.

À la Grande Scène, on voit rouge, ou plutôt, roux. Josh Homme, le front man de Queens of the Stone Age, jaillit sur les écrans géants qui encadrent le plateau. « Pick us, we are pretty », lit-on sur une pancarte. Avec des riffs hard rock enduits d’une voix qui effleure, avec une urgence nonchalante… lorsqu’entre deux morceaux Josh susurre, « It’s so beautiful, let’s keep dancing », on ne peut s’empêcher de sourire.

Du côté de la Cascade, les Naive New Beaters exécutent un show qu’on sent bien rodé, y compris dans la répartie, et enchainent les morceaux, les chorégraphies, et les histoires en franglais douteux. Un petit coup de « positive energy » en fin de journée, ce n’était pas de refus.

Jour 3 – 29 août

Les plages repos se font plus fréquentes, les nerfs sont usés jusqu’aux synapses, le réseau ne capte pas, mais le corps est en mode vibreur permanent.

Les Australiens de Temper Trap ouvrent à la Grande Scène et offrent une performance qui élève, purifie, dont les rebondissements font battre le cœur au rythme des percussions et d’une ligne de basse maniée comme un AK47, tandis que les arrangements vocaux s’emparent des esprits. Un instant de grâce pour le public autant que pour les artistes.

« Nous sommes les Anges Noirs ». The Black Angels livrent leur rock psychédélique, en si-bémol qui ronronne lascivement. Eels quelques instants plus tard peine à convaincre dès les premières mesures sur la Grande Scène, enchaînant avec une reprise fadasse de Summer in the City des Lovin’ Spoonful.

Le fait est qu’au bout de trois jours, une certaine accoutumance s’est créée. Il faut une franche claque musicale pour réagir. Et c’est I am un chien à la scène de l’Industrie qui va se charger de l’asséner. Le jeune groupe français produit un son électro-rock qui donne l’impression que les globes oculaires vont à tout instant jaillir de leurs orbites. Ça slam, ça saute, pas d’artifices.

Le tympan replet, retour vers Beirut, pour ce qui ne pourrait être qualifié que d’une corrida brandebourgeoise : le long des pentes qui se déversent sur la scène, les festivaliers campent poliment. Chez Beirut, ça trompe énormément.

Nouveau souffle d’oxygène sur les coups de 19 heures au stand Ile-de-France, où The Yolks servent un cocktail rafraîchissant dans lequel chaque influence est perceptible, mais dosée à la perfection, distillant à chaque gorgée une saveur unique, qui leur ressemble.

The Ting Tings sont attendus à la Grande Scène, mais pas uniquement. On dansera sur les nombreux succès du groupe Britannique indé-pop-électro bien au-delà, jusqu’à se heurter contre l’invisible barrière sonore, située quelque part entre le stand bonbon et aligot, point à partir duquel Wave Machines étend son royaume, ponctué de falsettos, de bip bips et de ballades nostalgiques.

La foule se presse avec une volonté de zombies vers la Cascade où va se produire Roxy Music : en attendant, on spécule sur l’accoutrement de Bryan Ferry. Celui-ci apparait finalement une figure élégante, sans âge, pendue au micro, le serrant à la taille comme une femme qu’il voudrait retenir à tout jamais. Un flambeur, léger, tantôt statique, le dos tourné au public lors des parties instrumentales, il surgit, discrètement, à droite de la scène, à l’ombre des projecteurs et bat la mesure. Comme un livre ancien que l’on ouvrirait, laissant échapper un parfum à la fois âcre et musqué, Song for Europe restera sans doute l’un des plus beaux moments de cette édition.

Si vous cherchiez une place côté hublot avec de la place pour les jambes pour l’ultime voyage musical du festival, la déception risque d’être grande. L’heure de la messe a sonné à la Grande Scène et les pèlerins ont de toute évidence reçu le mémo. C’est sur cette explosion de voix et de couleurs d’Arcade Fire que se referme le programme.

En traversant le pont de Saint-Cloud, on entend encore le public s’embraser sous les rayons de lumières qui filent vers le ciel, ou serait-ce simplement le bruissement de la Seine, le parrain discret de ces trois jours de festivités ?

Retrouvez l’article dans son milieu naturel sur Discordance.